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Ils se sont mis en chemin dès la veille de la sortie. Les joues creuses, les yeux vides, mus par un envoûtement sans fin, les séides de la plus séduisante monstruosité ont écumé les rayons des libraires tout en murmurant à l’unisson ce même prénom à la sonorité funeste : Tomie… Tomie… La raison de cette étrange procession ? Le retour en version intégrale du manga Tomie de Junji Ito chez un éditeur nouveau venu sur le marché français, Mangetsu. Environ 750 pages d’horreur rassemblées dans une belle réédition à couverture rigide venant pallier l’indisponibilité irrémédiable de la version Tonkam, éditeur historique du mangaka désormais avalé par Delcourt. Il y avait bien de quoi y aller dès le 7 juillet (voire la veille, donc), et rédiger un paragraphe qui, bien qu’un brin romancé, traduit l’enthousiasme certain que provoque cette sortie.
Le nom de Junji Ito n’a en effet jamais autant été sur le devant de la scène. Dites-moi si je me trompe, mais j’ai l’impression d’avoir plus vu sa petite tête inquiétante de banalité en un ou deux ans qu’au cours d’une décennie de fidélité à son oeuvre. Ceux qui ont dévoré Tomie il y a des lunes n’ont peut-être pas été les seuls convaincus de débourser 24,90€ pour se procurer la nouvelle édition. Raison de plus pour poser à nouveau les bases. Le personnage principal est une belle adolescente dont tous les hommes deviennent fous, dans tous les sens du terme, le coup de foudre laissant vite place à une irrépressible envie de tuer l’objet de leur affection. Mais il en faut plus pour faire disparaître Tomie, qui renaît de chaque mort, voire de chaque morceau, prête à aller ensorceler son prochain coeur masculin. Chaque résurgence du monstre est rendue plus grotesque encore par l’imagination débridée du mangaka, qui de Spirale à Gyo n’a jamais déçu le lecteur sur ce point.
L’énième réincarnation de Tomie se présente à nous ornée d’une nouvelle traduction d’Anaïs Koechlin pour Black Studio, et enrichie d’une préface du réalisateur français Alexandre Aja (La Colline a des yeux) et d’une postface de l’autrice Virginie Nebbia, alias Morolian, enrichie d’un échange avec Junji Ito lui-même. Des textes qui éclairent le sens d’une histoire que l’on pourrait à première vue interpréter comme hostile aux femmes. Le mangaka les voit-il comme des garces s’amusant à manipuler les hommes ? A l’adolescence, il dit avoir “développ[é] une phobie sociale”, qui l’amène à craindre “l’autre sexe, surtout les ‘belles femmes’”, lit-on dans la postface. Plus tard, créant et modelant le personnage de Tomie, il l’a d’abord pensé comme une “victime” puis comme “un être qui pousse l’autre à devenir agresseur”. Une manière d’excuser la violence qu’elle subit ? Pas forcément.
Dans l’oeuvre de Junji Ito, l’effacement de la raison est un thème récurrent qui ne touche pas que les personnages masculins. Et relire Tomie alors que les idées féministes ont le vent en poupe suggère une autre analyse. Si Tomie prouve une chose, écrit Alexandre Aja dans sa préface, c’est “que tous les hommes sont les mêmes, incapables de transcender leur désir aveugle et meurtrier”. Se jouant sans cesse du désir de propriété des hommes envers les femmes, l’increvable adolescente met au jour cette violence intrinsèque en faisant tout pour précipiter l’inéluctable. Et adresse un insolent pied de nez à ses assassins, dépossédés par les comebacks d’outre-tombe de leur victime du droit de vie et de mort qu’ils croient avoir sur elle. “C’est la toxicité masculine qui l’a transformée en bad girl”, conclut le réalisateur français. Derrière son air sage, la couverture de cette réédition semble nous dire qu’il est temps de se tenir à carreau. Ou sinon…
■ L’ACTU POP
🎮 Les rumeurs autour d’un nouveau modèle de la console Switch de Nintendo ont été partiellement confirmées cette semaine. L’entreprise japonaise a annoncé la Switch modèle OLED, laquelle propose un écran plus grand doté de la technologie d’affichage en question, et d’autres nouveautés comme un support plus large en mode portable. Les performances et la résolution d’affichage restent en revanche les mêmes. Du 720p sur un écran OLED ? A vous de voir si cela justifie de l’accueillir entre vos mains à partir du 8 octobre prochain.
💰 Une campagne Kickstarter pour une application de streaming d’animés censée bousculer la concurrence est très critiquée [en anglais]. Plus de 85 000 € ont été récoltés par Anime Tube, mais la promesse de proposer des milliers de titres, dont certains déjà sous licence chez d’autres distributeurs, étonne quelque peu. L’usage à la hussarde de visuels de franchises célèbres pour attirer le chaland risque aussi d’aliéner les ayants-droit japonais, explique Otaquest. Vendredi, la campagne a été suspendue par Kickstarter.
🐈 Un chat calico divertit les passants du quartier de Shinjuku, à Tokyo, grâce à un écran géant incurvé [en anglais]. L’animal, dont la tête donne l’impression de s’affranchir des limites de l’affichage, a rencontré un certain succès cette semaine auprès des habitants comme sur les réseaux sociaux. “Avec le Covid-19, le monde est devenu très sombre”, a déclaré au New York Times le porte-parole d’une des entreprises derrière la campagne pour justifier la présence rassurante du félin.
Et aussi : le studio derrière l’animé Demon Slayer poursuivi pour évasion fiscale, Ubisoft a peur d’attirer moins de nouveaux talents, une tribune pour une meilleure représentation asiatique dans le cinéma français.
■ L’ACTU SOCIÉTÉ
🏟️ Il n’y aura personne cet été pour applaudir les athlètes olympiques dans cinq préfectures japonaises, dont celle de Tokyo [abonnés]. Toujours vivace, le Covid-19 a poussé les autorités à proclamer à nouveau l’état d’urgence dans la capitale, du 12 juillet au 22 août, une fourchette qui comprend la durée entière des JO, prévus du 23 juillet au 8 août. A ce jour, deux autres préfectures prévoient encore d’accueillir des spectateurs, précise Le Monde, celle de Fukushima ayant annoncé samedi son intention de tenir elle aussi ses épreuves à huis clos.
⚽ Les propos racistes tenus ou cautionnés par Antoine Griezmann dans des vidéos filmées au Japon lui coûtent un contrat avec Konami. Le joueur du FC Barcelone était censé assumer le rôle d’ambassadeur des contenus liés à la franchise Yu-Gi-Oh!, a précisé l’éditeur japonais de jeux vidéo dans un communiqué cité par Le Monde. Filmées en 2019, les deux vidéos incriminées, dont l’une implique également Ousmane Dembélé, ont aussi fait réagir le géant japonais de la vente en ligne Rakuten, sponsor majeur du Barça.
🌈 Des dizaines de comptes WeChat liés à la jeunesse LGBT chinoise ont disparu du jour au lendemain de l’application [en anglais]. Certains avaient attiré des dizaines de milliers d’abonnés au cours de leur existence, rapporte le Guardian. Propriétaire de WeChat, le géant chinois du numérique Tencent n’a pas fourni d’explication. Mercredi, au lendemain de cette purge, le compte de Zhou Xiaoxuan, figure du #MeToo chinois qui accuse un présentateur télé de l’avoir embrassée de force, a lui été suspendu pour un an.
■ LE HORS-SÉRIE
🏃♂️ Le Summer Games Done Quick édition 2021 est bientôt fini, ce qui veut dire qu’il y a des dizaines de runs à revoir sur YouTube. Covid-19 oblige, le marathon caritatif de speedruns (des jeux bouclés le plus vite possible) s’est une nouvelle fois déroulé en ligne, ce qui n’a pas freiné les dons pour autant car pas moins d’1 500 000 $ ont été récoltés au bénéfice de Médecins sans frontières. Ne manquez pas les dernières heures de l’événement qui verront se succéder des classiques comme Super Metroid et Super Mario Bros. 3.
🔫 Chez les Kommandos, un cosplay du personnage de la franchise Touhou Flandre Scarlet peut cacher une passion des armes [en anglais]. Dans cet article, Vice News se penche sur les nouveaux amateurs d’armes, rassemblés dans la section /k/ du forum 4chan. A rebours du cliché de l’homme blanc conservateur habillé en treillis, ils se disent apolitiques, créent des mèmes et peuvent même être LGBT. Les suprémacistes blancs de la section /pol/ ne sont cependant jamais très loin.
📺 John Linneman et Audi de la chaîne YouTube Digital Foundry continuent de revisiter le lancement de la Playstation de Sony. Après le passage en revue des titres sortis au Japon en ce mois béni de décembre 1994 dans une première vidéo, le duo s’attarde sur l’arrivée presque un an plus tard de la console sur le territoire américain, en septembre 1995. Digital Foundry oblige, la vidéo intéressera en premier lieu les amateurs de détails techniques. Si vous voulez savoir si Rayman tournait mieux sur Jaguar, Saturn ou Playstation, c’est que je parle de vous.
■ LE MORCEAU
Ces dernières années, les fans de Perfume ont été malgré eux confrontés à une question bien déplaisante : le trio electro-pop était-il devenu ennuyeux ? Malgré quelques rares mais réjouissantes fulgurances (Cosmic Explorer, Story, Tenku), passé la sortie du formidable Level 3, les trois japonaises aux coiffures immuables ont plus impressionné par leurs performances scéniques que par leur musique. Heureusement, aujourd’hui, l’heure est de nouveau à l’optimisme. D’abord grâce à la sortie en septembre dernier du meilleur morceau du groupe depuis des années, le bien nommé Time Warp. Ensuite grâce à l’annonce de leur présence à l’édition 2022 du festival Primavera à Barcelone. Enfin grâce à la sortie le 2 juillet d’un deuxième nouveau single, Polygon Wave, véritable lettre d’amour au Perfume d’antan. “C’est la première fois depuis des années que Yasutaka Nakata (producteur historique du groupe) a composé un morceau qui sonne comme s’il avait sa place dans GAME”, leur premier album, écrit le journaliste Patrick St. Michel dans sa newsletter. Une très bonne nouvelle, si vous voulez mon avis.
■ LE FILM
Le nouveau long-métrage du réalisateur japonais de films d’animation Mamoru Hosoda, Belle, a les honneurs du Festival de Cannes qui le projettera en avant-première mondiale le 15 juillet, veille de sa sortie dans l’archipel. Le film, qui raconte l’histoire d’une adolescente effacée dont l’avatar virtuel, une certaine Belle (ha !), est une chanteuse adulée, sortira ensuite dans les salles françaises le 29 décembre. Il s’agit de la première sélection officielle à Cannes pour le réalisateur de La Traversée du temps et de Miraï, ma petite soeur.
■ LE LIVRE
Jun est un artiste qui aime les femmes qui mangent. Surtout celles qui ne se privent pas. Curry, pâtes, burger, hot dog… Quelles que soient les quantités, souvent gargantuesques, rien ne résiste à ses personnages dès qu’il s’agit de passer à table. Véritables éloges de la gourmandise, ses illustrations sont désormais rassemblées dans un artbook, TABEGIRL, à paraître au Japon le 21 juillet. Les précommandes sont ouvertes sur Amazon et CDJapan au prix de 2200 ¥ et 2000 ¥ respectivement (une grosse quinzaine d’euros). Une petite faim ?
■ L’OBJET
L’artiste indonésienne Meyoco continue de concevoir des vêtements et accessoires à l’image de son univers rêveur et coloré. Après les chemises, le sac banane et les accessoires Switch (et Switch Lite), voici venir… les tabliers de cuisine ! Trois couleurs sont disponibles, comme le montre le tweet ci-dessous, mais le jaune est déjà épuisé. De toute manière, j’ai un faible pour le rose. Côté prix, comptez 47,50 $ pour un tablier (soit une quarantaine d’euros).
■ LE DESSIN
■ L’AGENDA
🖼️ Une belle brochette d’artistes graphiques se retrouve ce week-end au “salon d’illustration pop-moderne” Paris City Pop. Organisé au Barbizon, l’événement accueille notamment un de mes chouchous, Arkestar, qui aura plein de belles choses à vous proposer. Si vous aimez les couteaux et les extincteurs, allez lui rendre visite.
141 rue de Tolbiac, 75013 Paris
🖼️ Encore un mois pour aller voir l’exposition Voyage sur la route du Kisokaido : de Hiroshige à Kuniyoshi au musée Cernuschi. Sont rassemblées près de 150 estampes japonaises qui sont autant de vues de la route dite du Kisokaido, qui reliait Tokyo (encore appelée Edo) et Kyoto à l’époque Tokugawa. La prolongation court jusqu’au dimanche 8 août.
7 avenue Vélasquez, 75008 Paris
📷 L’exposition Moriyama - Tomatsu : Tokyo continue à la Maison européenne de la photographie jusqu’au 24 octobre. S’y trouvent plus de 400 photos de Daido Moriyama et Shomei Tomatsu, chacun occupant son propre étage. L’amour du noir et blanc est recommandé.
5/7 rue de Fourcy, 750004 Paris
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C’était Cyberia N°#000. Merci et à samedi !
@presenceinwired